Les fables peintes du corps abîmé

publié le 28 mars 2017

Les études sur les représentations de la déficience dans les œuvres d’art ne sont pas si nombreuses. L’un des écrits qui continue à faire référence est celui de Henri Jacques Stiker, « les fables peintes du corps abîmé ». Ce qu’il étudie dans cet ouvrage pour la peinture est largement extrapolable à d’autres formes d’art.  Stiker définit dans son livre les images du handicap qui ont longtemps dominé l’iconographie occidentale. Il décrit un processus artistique qui serait celui du retournement qui s’exerce dans deux directions. Le premier processus « réside dans la réhabilitation de ce qui est rejeté et au rebut. Les « mal fichus » étant nous tous, ceux que l’on stigmatise comme tels acquièrent une dignité indirecte. » Cette réhabilitation est souvent liée à figure de la rédemption qui suppose une aide apportée à ceux dont la faiblesse les désigne comme un moyen d’exercer son salut. (Nombreuse iconographie de Saint Louis Guérissant les lépreux, Jésus guérissant le paralytique etc.) Une autre figure a consisté à faire du dérèglement du handicap un symbole du désordre généralisé de l’homme et de la société. « Les corps infirmes manifestent la réalité de tout corps, ou du corps social, ou de la condition humaine, parfois des trois à la fois. La marge est en réalité le centre caché ; le contrefait, empiriquement inhabituel, est le miroir où se reflète la déformation générale. ». On pourrait ajouter que Stiker a une vision résolument optimiste de l’art qu’il pare de mille vertus et qu’il n’imagine pas que des œuvres puissent aller dans le sens d’une stigmatisation du handicap. Il ne parle jamais du courant qui a consisté à voir dans le handicap l’œuvre et la marque du diable qui trouve pourtant une traduction dans de nombreuses œuvres artistiques.

Je pense que la première des deux figures décrites par Stiker, celle de la rédemption est désormais en train de régresser. Elle ne disparaît pas et les œuvres artistiques  sont encore nombreuses à se référer à cet imaginaire. Mais le courant est en perte d’influence inéluctable car de nouvelles images viennent déconstruire cette mythologie en proposant un autre type de rapport entre le handicap et la norme. La personne handicapée n’est plus seulement désormais l’ange par qui le salut arrive ou le diable par qui le scandale s’incarne. En revanche, la seconde figure du désordre généralisé continue d’exister mais il me semble qu’elle se transforme et crée de nouvelles mythologies dans son rapport avec le monde instable d’aujourd’hui. Je fonde mon intuition sur le nombre impressionnant de spectateurs qui,  à la fin d’une représentation, venaient me dire « en fait ils ne sont pas handicapés, ou bien non, en fait, c’est nous qui sommes handicapés. Ou alors en fait, c’est nous tous qui sommes handicapés ou normaux, on ne sait plus très bien. »

 J’en ai tiré deux constats :

1)    L’image du handicap change et se décale. L’ancienne mythologie que  la société se faisait traditionnellement du handicap est présente dans les mémoires mais elle tend à devenir obsolète. (Premier mouvement : « ils ne sont pas handicapés », ce qui veut dire, « ils ne cadrent pas avec la représentation traditionnelle que nous nous faisions du handicap jusqu’ici»)

2)    Le handicap devient aujourd’hui un support d’identification possible. (« nous sommes tous handicapés »)
Si cette hypothèse est vraie, cela constitue une véritable révolution car jusqu’à maintenant, il y avait une cloison hermétique qui séparait les personnes normales, saines d’esprit, des inadaptés, des déficients, des débiles.

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